Il 30 gennaio 2015 a Bobigny, in Francia, si è svolta per iniziativa del Front de Gauche una conferenza sul tema “Entre défis démocratiques et alternative, quel avenir pour les peuples?” che ha riunito più di cento esponenti della sinistra radicale europea. Vi hanno preso parte Natasha Theodoralopoulou di Syriza, Jose Calderón di Podemos, Renato Soeiro del Bloco de Esquerda (Portugal), Fathi Chamkhi, deputato del Front populaire (Tunisia), Barbara Spinelli, de L’Altra Europa con Tsipras, Marie-Christine Vergiat, eurodeputata del Front de gauche, Éric Coquerel del Parti de Gauche, Pierre Laurent del Parti Communiste Français e Myriam Martin, portavoce del movimento Ensemble.
Questo il testo dell’intervento in francese di Barbara Spinelli.
J’aimerais commencer par quelques chiffres qui me paraissent éclairants. Nous savons que les réfugiés syriens se comptent par millions, suite à une guerre qui semble interminable et dans laquelle l’Europe et les Etats Unis jouent un rôle pour le moins équivoque. 1 million et demi d’entre eux sont accueillis en Tunisie (sur 10 millions d’habitants), 2 millions au Liban (sur 4 millions d’habitants), 1 million en Jordanie (sur 7 millions). Tâchons de ne jamais l’oublier, lorsque nous nous alarmons des 3000 réfugies syriens en France ou des 3.970 débarqués en Italie l’année dernière (en 2014, les demandeurs d’asile syriens dans toute l’Union européenne ont été 48.400). Des amis et camarades syriens me rapportent que les organisations de la société civile de ces pays s’activent de mille manières – bien davantage que nous ne le faisons – dans l’accueil, voire dans l’intégration.
Mais il n’y a pas que la Syrie, bien entendu. Nous savons que les réfugiés de guerre représentent aujourd’hui une partie consistante de la migration en Europe, e que parmi les réfugiés il y a des Syriens, des Erythréens en fuite de la dictature d’Issayas Afewerki, des Iraquiens, des Afghans et des Soudanais.
Ces faits et ces chiffres illustrent de manière spectaculaire la crise que nous traversons. C’est certes une crise économique et sociale, dans la mesure où tous les pays qui accueillent ces millions de réfugiés sont loin d’être riches. Mais c’est aussi et surtout une crise de civilisation. Toujours encensée, la civilisation européenne figure telle une formidable conquête dans notre Charte des droits fondamentaux et dans le préambule du Traité de Lisbonne. “L’unité dans la diversité” est la devise officielle de l’Union (hélas, elle ne figure pas dans notre Charte – ses rédacteurs aurait-ils été pris de remords ? je me pertmets d’en douter). En réalité, cette civilisation est profondément malade. Elle dit le contraire de ce qu’elle est réellement disposée à faire et de ce qu’elle fait. Le Commissaire à l’immigration Dimítris Avramópoulos, qui se limite pour le moment à la lutte contre les passeurs et au contrôle des frontières via le dispositif Frontex, contribue à la forteresse Europe tout en affirmant haut et fort, lors des les auditions parlementaires à Strasbourg et à Bruxelles, que “jamais l’Union ne sera une forteresse”.
La crise économique, l’appauvrissement de nos peuples et de nos Etats sociaux sont flagrants. Mais notre maladie a des causes plus profondes, qu’ils nous faut reconnaître, étudier, et combattre. C’est justement la maladie de la forteresse et de la fermeture. Les japonais ont un mot pour décrire une pathologie psychosociale qui a pris de vastes proportions lors de la “décennie perdue” commencée au début des années 90: c’est le phénomène des hikikomori, qui nous est désormais familier grâce à la littérature et au cinéma. Les hikikomori sont des adolescents ou des adultes (on parle d’un million de japonais atteints par la maladie) qui ont décidé “tout à coup” de ne plus sortir de leur chambre: par peur, par désespoir, par solitude. Bref, parce qu’ils ont décroché. La traduction du mot est “retrait”.
En quelque sorte, c’est toute l’Union européenne qui est atteinte d’une pathologie hikikomori. Et là où elle ne semble pas “décrocher”, là où elle possède une tradition multiculturelle et accueille davantage de migrants – comme en Suède, en Allemagne ou en France – elle connaît la montée de forces xénophobes ou islamophobes.
Concernant l’immigration et l’absence d’une politique d’accueil, je pourrais vous parler de différents lieux emblématiques. Je pourrais vous parler de Ceuta et Melilla, de Sangatte, de la fermeture des frontières terrestres en Grèce ou du mur anti-immigrants en Bulgarie. Mais puisque mon temps de parole est limité, je me limiterai à l’Italie et aux morts en Méditerranée : parce que le grand naufrage survenu près des côtes de Lampedusa le 3 octobre 2013 a tragiquement montré au monde entier l’ampleur du problème, et parce qu’en Italie la pathologie civilisationnelle dont nous avons parlé prend des allures extraordinaires et est à l’origine d’infinies hypocrisies, affectant jusqu’au langage utilisé pour décrire la situation.
Après le désastre de Lampedusa, le gouvernement italien mit en place une opération de recherche et sauvetage (Search and rescue) appelée Mare Nostrum. Les navires de la marine italienne allaient en haute mer, près des côtes libyennes ou egyptiennes, afin de mieux répondre aux appels de secours et intervenir en cas de risque de naufrage. Plus de 10.000 vies ont été officiellement sauvées, selon les autorités italiennes et européennes : je me souviens que Cecilia Malmström, Commissaire aux Affaires intérieures avant Avramópoulos, s’était exprimée en ce sens devant le Parlement européen. Toutefois, l’opération s’avérant particulièrement onéreuse pour la seule Italie, on a décrété sa substitution par le dispositif communautaire de Frontex (avec l’opération nommée Triton). Mais en réalité, plus que de “substitution”, il faudrait parler de mort de Mare Nostrum – et plus précisément de mort des migrants en mer. Le gouvernement italien (c’est-à-dire la fausse gauche de Renzi en entente avec une partie de la droite) s’est réjoui, en annonçant avec grande fierté que Mare Nostrum était de fait européanisé, du point de vue du financement, mais que sa substance était sauvegardée. C’est un pur mensonge, couvert par l’hypocrisie: Frontex et Triton ne peuvent et ne veulent se substituer à Mare Nostrum, parce que leur tâche est le contrôle des frontières, non le search and rescue. Et parce que leur règle est claire et impérative : ses navires ont l’interdiction d’opérer au delà de 30 miles des côtes italiennes, sur le tracé des frontières européennes, et se limitent à des opérations de contrôle et d’endiguement de l’immigration clandestine. Que reste-t-il du search and rescue? Que reste-t-il de la mémoire du naufrage de Lampedusa?
Permettez-moi de répondre à ces questions par un exemple récent. En novembre dernier, les navires de la garde côtière italienne se sont aventurés en haute mer, pour sauver un certain nombre de fugitifs. Quelques jours plus tard, une lettre signée par le directeur de Frontex Klaus Rosler parvient au département immigration du Ministère de l’Intérieur, dans laquelle l’Italie est sévèrement rappelée à l’ordre. Il ne faut plus s‘aventurer au delà des 30 miles, car la mission de Frontex ne le prévoit pas. En d’autres mots, il faut laisser mourir les fugitifs, point final.
Il en va de même pour ce qui concerne la lutte contre les passeurs et les groupes de nature mafieuse qui contrôlent de fait les flux migratoires. On leur déclare la guerre mais on leur laisse le pouvoir. Ce dernier pourrait être réduit de manière draconienne, en instituant des corridors humanitaires sous la protection de l’Union européenne et de l’Onu. Il n’en est rien. L’Europe est faite par des policiers de frontière, non par des hommes politiques qui réfléchiraient à des stratégies et reprendraient le monopole de l’immigration, en en réduisant ainsi la violence. Résultat : on continue à mourir noyé en Méditerranée. On l’appelle le cimetière, mais je refuse ce terme. Dans un cimetière il y a des signes, des stèles, des noms : on s’y rend avec la certitude de trouver l’endroit où nos chers disparus sont ensevelis. La mer Méditerranée est une fosse commune, remplie de cadavres sans nom. Cela permet d’oublier.
C’est donc de crise de civilisation qu’il convient de parler, là où les lois de celle-ci sont violées ou ne sont que des coquilles vides. A commencer par la loi plus ancienne de l’humanité civilisée, à savoir la loi de la mer, qui prescrit le sauvetage de la personne ou du navire en danger. Ce n’est pas sans raison que l’on assiste à une déconstitutionnalisation et à une dé-parlamentarisation de nos démocraties, dans les nations et dans l’Union.
En ce sens, et pour conclure, vous aurez sans doute remarqué qu’on parle beaucoup de “valeurs” de l’Union. C’est le mot récurrent dans toutes les motions que nous discutons au Parlement européen. Marie-Christine Vergiat le sait bien parce qu’elle se bat sur ces questions, quotidiennement et dans toutes les plénières. Je n’aime pas ce mot, car il est vidé de substance. Je préfère parler de loi, d’Etat de droit, de droit codifié de la personne. Récemment, c’était cinq jours après l’attentat de Charlie Hebdo, j’ai rencontré un ministre du gouvernement français dans le train Paris-Strasbourg. On a parlé juste une minute du massacre, et je lui ai fait part de mes craintes concernant l’Etat de droit. Il m’a répondu avec un ton solennel: “Les droit, oui… mais plus encore les valeurs… les valeurs…”. En entendant ces mots, j’ai eu le sentiment d’un échec, d’une impuissance. Et plus que jamais j’ai ressenti l’envie de me battre encore davantage pour mettre le mots “droit” et “loi”, à la place de “valeurs”.