Intervento di Barbara Spinelli alla fête de l’Humanité, Parigi, 11 settembre 2015.
Je voudrais structurer mon intervention en deux parties.
La première, sans doute la plus importante, porte sur les raisons les plus profondes du drame auquel nous assistons hélas depuis plusieurs années. La deuxième concerne les dernières décisions de la Commission : en gros, la nouvelle position allemande et le discours de Juncker en plénière mercredi dernier.
C’est le grand tabou de l’Union européenne, le non-dit scandaleusement évité dans tous les discours, et toutes les actions, des autorités européennes : à l’origine de cet énorme fuite des peuples, il y a une situation caractérisée par l’effondrement des structures étatiques, par des guerres, par un véritable chaos économique et stratégique : au Nord de l’Afrique (les pays des printemps arabes), au Moyen Orient, en Afghanistan, et aujourd’hui surtout en Syrie. De ce chaos e de ces guerres, nous sommes responsables en toute première ligne. Les stratégies de changement de régimes ont conduit à cette situation, malgré les revers et défaites subis en cours de route. Les guerres, avec leur lot de réfugiés, sont un “effet collatéral” de cette politique idéologique, comme l’a écrit très justement un reporter de guerre italien, Alberto Negri. A l’origine, on trouve le lien pervers, meurtrier, entre les occidentaux (USA et Europe) et les monarchies du Golfe, Arabie Saoudite en premier, et notre dépendance non seulement énergétique mais aussi financière : les monarchies possèdent, comme la Chine, des centaines de milliers de nos obligations d’Etat, et cela a des effets sur notre politique étrangère, donc aussi sur notre politique d’asile et d’immigration.
Concernant la Syrie, la politique de nos gouvernements (France et Royaume-Uni en particulier) est la conséquence directe de cette dépendance néfaste, du double endiguement des puissances chiites et sunnites. Pour rassurer les monarchies sunnites du Golfe, l’accord sur le nucléaire avec la principale puissance chiite qu’est l’Iran devait être balancée par une contrepartie donnée aux sunnites : le changement de régime en Syrie et le « silence, on tue ! » au Yémen. N’oublions pas que l’Isis a été financé par l’administration américaine – les preuves ont été fournies, et que Laurent Fabius a fait plusieurs fois l’éloge de la résistance anti-Assad conduite par les forces jihadistes, a commencer par al-Nosra. N’oublions pas enfin qu’une grande partie des demandeurs d’asile syriens fuient l’Isis, non seulement les bombardements de Assad. Ils fuient aussi Kobane et le zones kurdes, frappés d’abord par l’Isis et ensuite par la Turquie d’Erdogan, avec la pleine complicité, sous prétexte de combattre l’Etat Islamique, des Occidentaux e de l’Otan.
C’est pour cette raison que je trouve particulièrement approprié le terme de de regime-change refugees utilisé par James Paul, ancien directeur général du Global Policy Forum. C’est certainement le cas des réfugiés afghans, irakiens et syriens, auxquels il faut ajouter les érythréens fuyant une dictature que l’Europe s’apprête a subventionner pourvu que le dictateur accepte le rapatriement de ses propres dissidents. C’est de tout cela que nous devons tenir compte lorsque nous analysons les propositions de la Commission, dont les volets militaires et de politique étrangère méritent une attention spéciale.
Venons-en ainsi à la politique d’immigration de la Commission et du gouvernement allemand.
Il y a certainement une ouverture de la part d’Angela Merkel. Je crois que l’émotion des citoyens, totalement imprévue par nos gouvernements (l’utilisation-manipulation des sondages mériterait un discours à part, puisque nos gouvernements se nourrissent exclusivement d’eux), a changé un certain nombre de choix politiques. On parle pour la première fois d’une “légalisation de la migration”, donc de la mise en place de corridors sûrs et légaux pour fuir les zones de guerre. (La famine ou la crise économique ne sont pas mentionnées. Quant au climat, il faudra sans doute que les mers inondent une partie de la planète pour reconnaître le problème.) Il y a aussi de bonnes propositions sur la relocalisation des migrants qui arrivent dans les Pays les plus exposés de l’Union : Italie, Grèce et Hongrie (même si les aides arrivent avec un scandaleux retard, comme dans le cas de la Grèce, déjà ruinée par les plans d’austérité).
Mais c’est ici que s’arrêtent les bonnes propositions. En effet :
- La Commission propose, mais les décisions sont la prérogative du Conseil de l’Union européenne, donc des gouvernements. Et c’est là que le bât blesse. La proposition faite cet été prévoyait une relocalisation de 40.000 réfugiés arrivés en Grèce et Italie : après avoir longtemps ergoté, le Conseil s’est accordé sur le chiffre de 32.000. Qui peut garantir qu’il acceptera le passage de 40.000 à 160.000 proposé par Juncker ?
- Tous les gouvernements d’Europe de l’Est sont contre la relocalisation, de même que le gouvernement espagnol et britannique. De plus, les gouvernements de l’Est ont fait savoir qu’une éventuelle ouverture aux Syriens ne concernerait que les chrétiens (voire les chrétiens dévots, ainsi que l’a précisé le gouvernement slovaque) ! L’Union se divise à nouveau, comme lors de la deuxième guerre en Iraq.
- Angela Merkel et Jean-Claude Juncker ouvrent les portes, mais à condition de rédiger une liste de “pays sûrs” : les migrants en provenance de ces pays seraient aussitôt rapatriés. Mes objections sont non seulement d’ordre politique et moral mais aussi juridique (je refuse l’emploi du mot « valeur » à la place du mot « droit »). La demande d’asile est rejetée selon les nationalités, non selon les exigences individuelles du demandeur, ce qui va à l’encontre de la loi internationale. Deux droits sont ainsi en danger: le droit au non-refoulement collectif, et celui à la non-discrimination inscrit dans l’article 3 de la Convention de Genève.
- Il serait nécessaire et urgent de déclarer mort le système de Dublin. Or, on se limite à de vagues promesses de réévaluation d’ici à la mi-2016.
- La lutte contre les trafiquants et les passeurs reste prioritaire, et le plan militaire de lutte contre leurs bateaux passerait au stade opérationnel (Eunavfor Med). En d’autres termes, on se prépare à de nouvelles actions de guerre en Libye, y compris sur son territoire, sans aucun examen des erreurs macroscopiques commises dans le passé récent. Le plan n’a pas encore le laissez-passer de l’Onu, mais il semblerait que la Russie ne soit plus contraire.
- Les efforts ne sont pas concentrés sur les opérations de recherche et sauvetage en Méditerranée. Pour les opérations de Eunavfor Med – qui remplacent en partie Frontex et Triton au Sud de la Méditerranée près des côtes libyennes – ce n’est pas un « objectif prioritaire », ainsi que l’a déclaré Federica Mogherini, Haut Représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, dans son discours de cette semaine devant le Parlement européen à Strasbourg.
Il faudra surveiller de très près les deux derniers points. Comme vous l’aurez constaté, il sont étroitement liés à la première partie de mon intervention, concernant la politique étrangère et militaire des gouvernements de l’Union : France et Angleterre en premier, mais sans oublier l’Allemagne. Sa politique étrangère est certes très prudente, mais gardons toujours présent à l’esprit qu’il s’agit du troisième exportateur d’armes au monde vers les zones de guerre.